Léo REN
Les mots clés : Cent fleurs, bouddhisme et histoire
La carte blanche à l’artiste Xiao Fan RU au musée national des arts asiatiques Guimet a été inaugurée le 10 mars 2020.
En tant qu’une personne, elle porte un bouquet de « Cent fleurs » dans son cœur. Son corps est comme celui d’arhat, travailleur et méticuleux. Elle se pose sur un socle solide, qui est l’histoire. Tout cela est le cheminement de la vie. Notre existence est une navigation pour se rejoindre à l’autre rive, ou bien le nirvana.
L’installation « Ode du cheminement » de Xiao Fan a une signification culturelle et historique marquante. Elle est inspirée par le parcours de l’artiste et la recherche de réponses dans sa vie artistique.
La statuette est en porcelaine Qingbai. La technique date de la dynastie Song (1127-1279). Elle est une représentation de Luohan ou arhat dans le bouddhisme en Chine avec la tête remplacée par un bouquet de fleurs. Les détails et la délicatesse de ces statuettes sont inégalés.
Les fleurs sont un grand sujet dans la vie artistique de Xiao Fan. Dans son enfance, la Chine a connu une énorme campagne politique et culturelle : « Cent fleurs » (baihua yùndòng). Il s’avérait d’un déclencheur de plusieurs campagnes horribles par la suite y compris la révolution culturelle. Ces événements ont lourdement marqué Xiao Fan et sa famille.
Depuis qu’il s’est installé en France dans les 80s, Xiao Fan a réalisé un grand nombre d’œuvres avec le sujet fleur. C’est non seulement un hommage à cette expérience en Chine, mais surtout une expression de sa conviction de la signification originale de « Cent fleurs » : une campagne qui songe à encourager et dynamiser la créativité et la diversité.
L’arhat ou Louhan est aussi un personnage exceptionnel dans le bouddhisme. En tant que disciple du Bouddha, il n’atteint pas encore à son état et il est mortel. Avec beaucoup de modestie, ils s’occupent des tâches quotidiennes dans le temple. C’est la raison pour laquelle les statuettes sont si vivantes dans « Ode du cheminement ».
Sous leurs pieds, ce sont des cassettes de terre réfractaire. Elles se ressemblent aux bateaux, qui transportent ces Luohan vers l’autre rive, le nirvana.
Ses cassettes sont des antiquités qui datent du 9e siècle. Elles étaient un outil essentiel dans la production de porcelaine à cette époque. Pendant la cuisson, ces cassettes servaient à séparer les porcelaines et la flamme afin d’éviter qu’elles ne se noircissent ou se fendent. Malgré le fait que ces cassettes sont faites de la terre réfractaire, sa vie est courte. Une fois la cuisson est terminée, elles ne voient plus le jour.
1000 ans après, Xiao Fan les a retrouvées. Il leur a donné une nouvelle vie en tant que bateaux qui effectuent la liaison entre l’art européen et celui asiatique. Le fort contraste entre les statuettes lisses et les cassettes rugueuses nous invite à réfléchir et sentir.
« Ode du cheminement » nous ouvre une conversation sur notre recherche spirituelle. Sous le dôme du musée Guimet, les 72 disciples du Bouddha se mettent en forme d’un éventail. Le spectateur est baptisé par leurs regards sereins.
Dans cette vie de navigation, « Cent fleurs » comme tête nous rappellent qu’il ne faut jamais oublier ses aspirations originales. Le corps de Luohan nous montre que le plus important est de passer à l’action nous-mêmes. Les cassettes de 1000 ans en tant que socles et bateaux nous apprennent que l’histoire ne nous réclame pas de respect. Il ne faut surtout pas la vénérer aveuglement. Mais il est important de se servir de cette référence de grande valeur pour nos cheminements actuels.
Une personne est-elle vraiment indépendante ? Notre vie est-elle exempte de l’environnement culturel et politique ? La liberté est-elle réelle ? Les œuvres de Xiao Fan essaient toujours de nous montrer ses recherches sur ces questions existentielles.
La forêt de bambous représente la complexité de notre société. Pour une personne, c’est quasi impossible d’apercevoir toutes les liaisons. Les oiseaux en cage représentent chaque individu dans la société comme vous et moi. Le temps est beau, l’endroit est aéré et la vue est agréable avec l’arc-en-ciel. En théorie, il y a tout ce qu’il faut pour nous soulager dans cette scène. Cependant, on voit que le message clé est bien plus profond.
Chaque oiseau peut voir cette belle scène de sa cage. On se demande qui les a tous emprisonnés de cette façon cruelle. Ils sont tous témoins d’un monde merveilleux qu’ils ne puissent jamais en profiter pleinement. Cependant, le gardien de prison n’est peut-être personne d’autre que nous-mêmes. En ayant la liberté de devenir tout ce que l’on veut, combien de fois avons-nous fait un choix différent ? Combien de limites nous nous sommes imposés dans la vie ?
Les oiseaux chantent constamment. Chacun dans sa cage est comme nous dans notre bulle dans la vie. Le chant d’un oiseau est comme la voix d’un individu, qui est le symbole de son indépendance et son originalité. Mais quand tout le monde chante sa mélodie, la forêt devient un orchestre. La pièce produite est la culture générale d’une société. Personne ne peut sortir de cette forêt, donc l’originalité est-elle une illusion ?
Xiao Fan a vécu la révolution culturelle en Chine. Puis il a étudié à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris de 1983 à 1986. Depuis, il vit et travaille en France. Ses expériences dans des cultures radicalement différentes nourrissent sa réflexion tous les jours. Sa recherche de réponses donne l’esprit à ses créations incroyables. Je vous conseille vivement de venir voir son exposition (11 mars – 8 juin 2020).
Léo REN à Paris